Indemnisation du préjudice économique du conjoint d’une victime d’un aléa thérapeutique

Public - Santé
Civil - Responsabilité
15/10/2020
Par un arrêt en date du 7 octobre 2020 publié au Bulletin, la Cour de cassation approuve les juges d’appel qui autorisent l’indemnisation du préjudice économique de l’ex-conjoint d’une personne décédée des suites de la réalisation d’un aléa thérapeutique, alors même que celui-ci bénéficiait des ressources de sa nouvelle épouse.
 
En l’espèce, une personne décède à la suite d’un accident lors de la réalisation d'une coronarographie. Son conjoint saisit alors l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à fins d’indemnisation.

Or, l’ONIAM refuse d’octroyer l’indemnité du préjudice économique à la hauteur estimée par le conjoint. L’argument invoqué à l’appui du refus est celui du remariage du demandeur, qui lui permet de bénéficier des ressources perçues par sa nouvelle épouse.

Avant d’expliciter la solution de la Cour de cassation, l’on se rappellera les termes de l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique qui dispose qu’« Un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci ».

Cet article, issue de la loi dite « Kouchner » (L. n° 2002-303, 4 mars 2002), a créé un véritable droit à l’indemnisation pour les victimes. Mais il n’a pas manqué pour autant de soulever quelques questions pratiques très importantes. Notamment celle de l’indemnisation des victimes par ricochet, des proches de la personne décédée à la suite de la réalisation d’un aléa thérapeutique. S’agissant de la responsabilité sans faute, il est vite apparu que l’ONIAM (qui n’intervient qu’à partir d’un seuil important de préjudice subi ou décès) n’entend pas indemniser ces proches. Or, en suivant la jurisprudence Conseil d’État (CE, 9 déc. 2016, n° 390892), la Première chambre civile brise cette anomalie en permettant aux victimes par ricochet de bénéficier de la solidarité nationale en cas d’une infection nosocomiale : les organismes chargés d’indemnisations sont « tenus, sur le fondement de la responsabilité de plein droit, de réparer l’ensemble des dommages résultant de ce, qu’ils aient été subis par les victimes directes ou indirectes ; que, lorsque les dommages résultants de telles infections atteignent le seuil de gravité fixé par l’article L. 1142–1–1, 1°, la réparation incombe, dans les mêmes conditions, à l’ONIAM, en leur lieu et place » (Cass. 1re civ., 8 févr. 2017, n° 15-19.716). Ici, seules les infections nosocomiales sont concernées, à l’exclusion donc des affections iatrogènes ou des accidents médicaux. Même si la présente solution ne se rattache pas techniquement à cette évolution, elle s’inscrit néanmoins dans une tendance d’indemnisation favorable aux victimes par ricochet et qui sert de prolongation à celle-ci.

En effet, la Cour rejette le pourvoi de l’ONIAM en estimant « que si, après le décès de sa première épouse, M. X s’est remarié et bénéficie de nouvelles ressources liées au salaire perçue par sa seconde épouse, celles-ci résultent de la réorganisation de son existence et ne sont pas la conséquence directe du décès, de sorte qu’elles n’ont pas à être prises en compte pour évaluer les préjudices économiques consécutifs au décès de Mme X ». En d’autres termes, les ressources nouvelles à disposition du conjoint du conjoint décédé proviennent non pas du décès per se mais d’un réaménagement de sa vie suite audit décès. Résumé simplement, le principe de réparation intégrale veut que la réparation allouée couvre tout le dommage et uniquement le dommage, sans qu’il en résulte ni appauvrissement, ni enrichissement de la victime. Pour l’ONIAM précisément, le fait que le défendeur se remarie, avec de nouvelles ressources à sa disposition, doit conduire à la diminution des réparations allouées, sinon il en résulterait un enrichissement. Cette logique, qui peut paraître de prime abord séduisante, n’en est pas moins fausse.

Pour s’en convaincre, l’on peut rapprocher la présente solution à une décision rendue par la Chambre criminelle sur des faits similaires (Cass. crim., 29 juin 2010, n° 09-82.462). Dans cette espèce, la concubine d’une victime d’un accident mortel de la circulation reproche aux juges du fond d’avoir limité sa réparation à titre de préjudice économique au motif que quatorze mois après l’accident, elle avait donné naissance à un enfant avec le père duquel elle vit. La solution donnée par la cour fut la suivante : « la circonstance que le conjoint ou le concubin survivant de la victime d'un accident ait reconstitué un foyer avec une tierce personne n'est pas de nature à dispenser le tiers responsable de réparer entièrement le préjudice qu'il a causé dès lors que cette circonstance n'est pas la conséquence nécessaire du fait dommageable ». La notion de « conséquence nécessaire » renvoie à l’existence obligatoire d’un lien direct entre l’accident et l’évolution de la vie personnelle du conjoint. Or, un tel lien n’existe pas. Le fait de reconstituer un foyer familial nouveau est sans incidence sur le droit à la réparation du préjudice économique subi car elle n’est pas la conséquence directe (nécessaire) de l’accident.

En cela, le raisonnement est sensiblement le même : le remariage du conjoint est un évènement aléatoire qui n’entretient pas de relation de causalité directe avec l’aléa thérapeutique et le décès qui en résulte. Ainsi, le piège évité par les juges du fond est celui qui consiste à voir en cette reconstitution de foyer une source d’enrichissement pour le défendeur.

La conséquence pratique de la solution est l’amélioration du droit à la réparation intégrale du préjudice économique des victimes par ricochet des accidents médicaux graves non fautifs qui s’inscrit dans le sillage de l’arrêt du 8 février 2017 précité.
 
Source : Actualités du droit