Contribution aux charges du mariage : barrage à l’exonération conventionnelle !

Civil - Personnes et famille/patrimoine
15/09/2020
Par un arrêt du 13 mai 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation traite de l’articulation entre l’obligation de contribuer aux charges du mariage et la clause qui présume son exécution, fréquemment insérée dans les contrats de séparation de biens. Si l’on peut encore douter de la recevabilité d’une action tendant à apurer les comptes pour le passé, du moins l’action tendant à l’exécution de l’obligation pour l’avenir doit-elle être préservée par principe.
Par Agathe MARIETTE-DEWISMES, étudiante du Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris-Dauphine
Rédigé sous la direction d’Anne KARM, professeur à l’Université Paris-Dauphine, directrice du Master 2 de Droit notarial

En l’espèce, deux époux séparés de biens se séparent en 2013. En juin 2016, l’épouse assigne son conjoint en contribution aux charges du mariage. Un jugement du 5 mai 2017 fait droit à sa demande, tandis que, par un arrêt du 22 novembre 2018, la cour d’appel de Douai déclare sa demande irrecevable en raison de la présence, au contrat de mariage, d’une clause présumant l’exécution au jour le jour de son obligation contributive par chaque époux.
Il incombe alors à la première chambre civile de la Cour de cassation de déterminer si la clause selon laquelle « chacun [des époux] sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte quaucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet » empêche toute action de l’un contre l’autre en exécution de cette obligation.
Au visa des articles 214, 226 et 1388 du Code civil, la Haute juridiction casse l’arrêt attaqué, en précisant que l’obligation de contribuer aux charges du mariage est d’ordre public, et que les parties ne peuvent donc l’exclure par voie conventionnelle. En conséquence, elle estime que la clause litigieuse n’empêche pas un époux d’agir pendant le mariage pour contraindre l’autre à une exécution pour l’avenir.
Si la Cour de cassation affirme ainsi clairement le caractère d’ordre public de l’obligation de contribuer aux charges du mariage (1.), la portée de la clause contributive-type inscrite au contrat de séparation de biens soulève encore des interrogations (2.).
 
1. Le caractère d'ordre public de l'obligation de contribuer aux charges du mariage
 
Une obligation inscrite au régime primaire impératif
 
L’article 214 du Code civil dispose, en son premier alinéa : « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives ». Le texte se place ainsi sur le plan de la contribution à la dette, contrairement à l’article 220 du Code civil qui, à travers la solidarité ménagère, vise l’obligation à la dette. De sa localisation dans le Code civil, il faut déduire que le principe fait partie du régime primaire impératif. Des articles 226 et 1388, qu’il est d’ordre public. Il s’agit d’un d’effet légal du mariage, ce qui emporte deux conséquences. D’une part, il ne peut s’appliquer ni au concubinage (sauf volonté commune de partager les dépenses de la vie courante : Cass. 1re civ., 13 janv. 2016, n° 14-29.746), ni au Pacs. S’il existe dans ce dernier cas une obligation d’ « aide matérielle [réciproque] », prévue par l’article 515-4 du Code civil, elle n’implique aucune dimension familiale. D’autre part, l’obligation est due jusqu’à ce que le divorce acquière force de chose jugée (Cass. 1re   civ., 14 mars 1973, n° 71-14.190) ou force exécutoire, sauf à tenir compte des circonstances de la cause.
 
Une obligation susceptible d'exécution forcée  
 
L’alinéa 2 de l’article 214 du Code civil prévoit : « Si l'un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l'autre dans les formes prévues au Code de procédure civile ». Légalement, rien ne permettait donc d’exclure une action en justice. Seule l’insertion d’une clause contributive au contrat de mariage des époux séparés de biens soulevait donc la question de la recevabilité de l’action. Par cet arrêt, la Cour de cassation précise que, malgré ladite clause, l’exécution forcée reste possible pour l’avenir, censurant ainsi l’arrêt d’appel pour avoir déclaré irrecevable la demande de l’épouse, quoique le jugement initial ait condamné son mari à lui verser 3 000 euros par mois jusqu’à l’ordonnance de non-conciliation. Effectivement la clause et la loi ne sont pas antithétiques : la première ne permet pas l’inexécution, elle présume l’exécution ; de plus, elle n’entre en action qu’à la dissolution du régime.
Par ailleurs, contrairement à l’obligation alimentaire, la règle « aliments ne s’arréragent pas » ne s’applique pas en matière de contribution aux charges du mariage, celle-ci étant distincte « par son fondement et par son but » de la première (Cass. 1re civ., 8 nov. 1989, n° 87-19.768). Ce n’est donc qu’en matière d’obligation alimentaire, et non de contribution aux charges du mariage, que le créancier se voit opposer une double présomption d’absence de besoin et de renonciation. Pur effet du mariage, la contribution aux charges du mariage est indépendante de toute notion de besoin, et l’action en contribution est assimilée à une action en remboursement. Pour autant, la portée de la clause contributive-type inscrite au contrat de séparation de biens demeure incertaine.
 
2. La portée de la clause contributive-type inscrite au contrat de séparation de biens
 
 L'exclusion de tout compte à la dissolution du régime
 
La présomption de contribution peut être simple ou irréfragable. C’est majoritairement cette dernière hypothèse qui l’emporte. Dans ce cas, lors de la dissolution du lien matrimonial, toute créance entre époux sur ce fondement est exclue, et ceux-ci sont privés de toute action l’un contre l’autre pour inexécution ou sous-contribution. La Cour de cassation l’admet : puisqu’instituant une règle de non-recours entre les parties, elle a la portée d’une fin de non-recevoir. L’obligation de contribuer aux charges du mariage prenant fin à la dissolution de l’union, l’ordre public ne permet alors plus d’échapper à l’irrecevabilité.
Les implications d’une telle stipulation sont donc particulièrement importantes. Or, si elle a initialement été pensée pour faciliter la liquidation dans un contexte où le décès était la cause de dissolution principale du régime, et où l’épouse était à la fois réputée survivre et moins contribuer, la réalité est aujourd’hui bien différente. La question de la pertinence d’une présomption irréfragable ne peut donc que se poser, ainsi que celle du devoir de conseil du notaire.
           
Le problème persistant de la « sur-contribution » aux charges du mariage
 
L’évolution récente de la jurisprudence consolide la problématique de la sur-contribution de l’un des époux aux charges du mariage. Par un arrêt du 3 octobre 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi considéré que l'apport en capital ne participe pas de l'exécution de l'obligation de contribuer aux charges du mariage (Cass. 1re civ., 3 oct. 2019, n° 18-20.828). Dès lors, l'époux qui investit des deniers provenant de la vente d'un bien personnel dans l'acquisition d'un bien indivis affecté à l'usage familial pourra solliciter une créance contre l’indivision. Ceci revient donc à effectuer une distinction selon l’origine du versement, pour, a contrario, interdire toute créance entre époux en cas de financement par des revenus. Mais cette position n’aboutit-elle pas à consacrer une affectation de principe des revenus personnels aux charges du mariage, ce qui serait contraire à la logique du régime de séparation de biens ?
 
Source : Actualités du droit